Pourtant j’étais sure de vous avoir raconté cette histoire, l’histoire triste d’un napoléon trop confiant et , il faut bien le dire, trop gourmand ....
Non, chère amie, Quichottine, ce n’est pas celle de ce perroquet à bosse, fantôme magique, aperçu aux Seychelles.
Voici l'histoire:
Je ne suis plus très sure, mais je crois qu’en ce jour de novembre 1998, j’allais croisé pour la première fois, un poisson quasi mythique, qui restera à jamais gravé dans ma mémoire de plongeuse.
Je venais de reprendre la plongée après une très, très longue pause.
Ma mère venait de mourir d’un cancer quelques mois avant et quand je suis arrivée en Polynésie, j’avais un grand besoin d’air pur, de beauté , d’évasion ....
Pas d’appareil photo, à l’époque, juste des souvenirs merveilleux de paysages peints dans toutes les nuances de bleu, juste des pellicules inscrites dans ma mémoire et gravées de poissons multicolores, gros, petits, captivant le regard sur l’infiniment petit ou le laissant dériver vers le grand bleu .
Moorea est une petite ile, toute proche de Tahiti, j’aimais arpenter les routes et admirer sans m’en repaitre les bleus somptueux de l’océan, des lagons, se mariant avec bonheur avec le vert d’une végétation luxuriante.
La plongée faisait bien sur, partie intégrante du voyage, certaines iles polynésiennes étant considérées comme des «mecques» sous marines.
Il me semble que c’était un après midi, nous n’avions pas beaucoup navigué, nous étions avec le patron du club, un homme charmant qui avait tout abandonné à plus de 40 ans, métier, maison, métropole pour reprendre ce club par passion.
Je vous l’ai souvent dit, la passion est le plus sûr moteur d’une belle plongée, pas de blasé ayant tout vu sur ce bateau, donc ...
Nous voilà partis pour une plongée agréable, poissons, et belles tables de corail au programme.
À peine descendus, un hôte incroyable s’est invité à notre ballade: un napoléon d’environ 120 kg, énorme, à la livrée somptueuse et affichant un air débonnaire.
Il était là, curieux, pas sauvage pour deux sous.
Nous avons été subjugués, immédiatement, par sa grâce, ses couleurs riches, les rayures délicates d’une livrée se reflétant aux rayons du soleil encore perceptibles à faible profondeur.
Puis, a commencé un jeu entre le moniteur de plongée et cet énorme poisson.
Le moniteur mettait sa main dans sa stab (sorte de gilet aidant à la flottabilité) et le poisson se rapprochait de lui à la fois curieux et surtout très gourmand.
Il nous a suivi jusqu’à 38 mètres ; descendant à notre rythme et est remonté sans jamais nous quitter.
Je crois qu’une baleine aurait pu passer à quelques mètres de nous, nous ne l’aurions pas vu, tant ce poisson nous fascinait.
Il était beau, impressionnant et si amical , nous suivant avec un intérêt évident.
Il n’y avait aucune nourriture dans la stab du moniteur, on ne «feedait» (nourrir en vue d’attirer les poissons) pas chez lui et la suite de l’histoire va vous prouver à quel point , ce club avait raison.
Le feeding a été très longtemps pratiqué en Polynésie. Certains clubs en ont fait leur renommée.
Cette pratique a fait remonter des gros requins: taureau, tigre, et n’était pas sans danger pour la population locale.
Bref, notre napoléon si affable était habitué à recevoir des oeufs durs dont il est très friand, tout droit sortis des poches de certains plongeurs peu scrupuleux.
En dehors du fait que cette nourriture n’est pas vraiment adaptée à l’animal, le fait est que ces poissons ainsi feedés ne se méfient plus des hommes.
Ce jour là, la plongée avait été merveilleuse et magique, se terminant en apothéose par un baiser sur le bouche entre le napo et le moniteur.
Autant vous dire que nos regards brillaient de mille feux en sortant de l’eau. Ces images hors du commun devaient restées à tout jamais gravées dans nos mémoires.
Nous nous étions fait un «pote» polynésien, un super poisson plein de tendresse ....
Je suis repartie, d’autres iles, d’autres plongées, d’autres souvenirs, puis quelques années après je suis revenue et une des premières choses que j’ai demandé aux moniteurs du club, c’était des nouvelles du napo.
Et là, j’ai appris une nouvelle terrible, un gars du coin a eu besoin d’un gros poisson pour le baptême de sa fille et il a fléché la napoléon qu’il a servi à ses invités en repas.
Cette histoire avait fait le tour de la Polynésie française et dans certaines iles, les clubs refusaient d’approcher ces poissons, non pas par crainte, mais pour les protéger du pire des prédateurs des mers: l’homme.
J’espère que , depuis, on ne feede plus en Polynésie, mais bon, j’en doute, hélas .....
Une chose est sure, tous ces gens qui vous proposent ce genre de «spectacles» ne sont certainement pas respectueux de l’océan .
Alors si, un jour, l'un d'eux vous vante les mérites certes spectaculaires du feeding, souvenez vous de l'histoire de ce pauvre napoléon ...